Un village classé, un laboratoire d’équilibre

Au creux d’une boucle de la Vézère, Saint-Léon-sur-Vézère déroule son paysage d’ardoises bleutées, de toits pentus et de ruelles sinueuses. Ce village de 414 habitants – dénombrés au dernier recensement de l’INSEE en 2021 – cultive un charme sensible et vivant, tout en jonglant avec les défis de l’époque. Site classé parmi « Les Plus Beaux Villages de France » depuis 2012 et lové au cœur d’une zone Natura 2000, Saint-Léon n’a jamais cessé d’évoluer. Mais à la différence de tant d’autres communes rurales, ici, chaque choix d’aménagement devient une question de dosage : comment préserver le patrimoine sans figer la vie ? Quelle part réserver à l’innovation tout en maintenant une signature paysagère rare ? Cette tension irrigue discrètement l’évolution urbaine du village depuis plus de deux décennies.

Le fil rouge : préserver l’harmonie paysagère

En Dordogne, la pierre a mémoire. Ici, l’aménagement est indissociable de la notion de “patrimoine commun”, et rares sont les nouvelles constructions qui échappent au regard expert de l’Architecte des Bâtiments de France. Depuis l’adoption du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la vallée en 2017, Saint-Léon-sur-Vézère s’est doté d’outils incontournables pour maîtriser l’urbanisation :

  • 80 % du territoire classé en zone naturelle ou agricole : Seulement 6 hectares ouverts à la construction sur plus de 1300, selon la préfecture de Dordogne.
  • Obligation d’intégration paysagère : Toute demande de permis de construire doit intégrer une analyse architecturale locale et respecter l’usage dominant de la pierre calcaire et des tuiles canal, édicté par la charte communale d’urbanisme.

Ce souci du détail confère aux rues une unité rare, loin des lotissements standardisés. Le revers de la médaille : un coût moyen de rénovation 25 % plus élevé que dans les communes voisines (source : Chambre des Métiers – 2023), qui peut freiner certains projets.

Maîtriser l’habitat pour éviter le piège du village-musée

Vivre à Saint-Léon, ce n’est pas habiter une carte postale figée par la fréquentation touristique. L’aménagement urbain prend ici le contrepied du tout-patrimonial, grâce à une politique visant à équilibrer résidents permanents et visiteurs :

  • Quota de résidences principales : En 2023, 54 % des habitations du village abritaient des résidents permanents, contre 39 % de résidences secondaires, d’après l’INSEE. La municipalité vise 60 % de domiciliation permanente d’ici 2027, via un encouragement à la location longue durée.
  • Protection contre la “Airbnbisation” : Un arrêté préfectoral limite le nombre de meublés de tourisme à un ratio maximal de 1/4 de la totalité du parc résidentiel, évitant que le centre-bourg ne se vide hors saison.
  • Aide à la réhabilitation : Subventions et conseils techniques sont octroyés aux jeunes ménages pour restaurer les bâtisses vétustes, partenariat associatif local à l’appui (association « Habiter Vézère »).

Une habitante, Agnès, installée avec ses enfants depuis 2018, témoigne : « On a pu acheter grâce à une aide de la commune conditionnée au fait d’y vivre à temps plein. Je travaille à Thenon, mais mes enfants n’auraient jamais connu une telle liberté ailleurs qu’ici, où chaque maison reste allumée tout l’hiver ! »

Mobilités douces : au rythme du village

Se déplacer dans un village médiéval labyrinthe n’est pas toujours aisé… mais Saint-Léon expérimente. Depuis 2022, la municipalité s’est lancée dans un Plan Mobilité Douce visant à réhabiliter les sentiers piétons délaissés et à créer des liaisons cyclables avec les communes voisines (Montignac, Thonac). Quelques chiffres fournis par le PNR Périgord-Limousin et le dernier bulletin municipal :

  • 4,2 km de voiries réservées modes doux aménagées entre 2021 et 2023
  • 19 % d’augmentation de la fréquentation piétonne vers la Vézère en été (compteur du pont communal, 2023)
  • Expérimentation “Vézère à vélo” chaque été : 12 vélos électriques mis à disposition, avec des trajets gratuits pour les habitants

Ce type d’aménagement influe directement sur la convivialité locale : l’aire de pique-nique, le marché hebdomadaire sous les platanes ou même la traditionnelle partie de pétanque profitent du nouvel apaisement des axes principaux où la voiture, désormais canalisée, cède du terrain à la marche. En été, les paddles et canoës s’alignent sous le vieux pont, signe d’un nouvel usage doux du territoire.

Espaces publics et cadre de vie : la difficile alchimie

Le cœur du village, c’est la place de l’église romane : sous son tilleul séculaire se joue encore, au fil des saisons, une part essentielle de l’art de vivre local. L’aménagement récent de la place (2020), résultat d’un concours d’urbanisme financé par le Département, en est le symbole. Les choix ont fait débat : fallait-il privilégier le confort des touristes, la quiétude des anciens, la sécurité des enfants ?

  • Nouvelle répartition des espaces : Suppression de la moitié des places de stationnement, création d’une agora piétonne de 1 500 m ouverte aux évènements culturels.
  • Végétalisation renforcée : Plantation de 22 arbres d’essences locales et prairies fleuries pensées pour attirer pollinisateurs et oiseaux (objectif : augmenter la biodiversité urbaine de 15 %, selon la LPO Dordogne).
  • Accessibilité : Allées carrossables PMR et mobilier urbain adaptés, refaits à neuf, facilitant la déambulation intergénérationnelle.

Le marché nocturne, relancé en 2023, rassemble chaque jeudi jusqu’à 750 personnes, mêlant enfants du village, retraités et visiteurs, tandis que la scène ouverte est fréquentée par une dizaine de groupes locaux chaque été.

Effet levier sur l’économie locale et les savoir-faire

L’aménagement urbain ne concerne pas que l’esthétique ou la circulation, il impacte le tissu économique et social en profondeur. À Saint-Léon, la stratégie d’attractivité s’est concentrée sur plusieurs axes originaux :

  1. Pépinière de créateurs : Restauration d’anciens locaux municipaux comme ateliers ou galeries. En 2023, deux artisans d’art ont pu s’installer au centre-bourg, dynamisant l’offre hors-saison.
  2. Priorité circuits-courts : Modernisation de la halle du marché pour accueillir une quinzaine de producteurs du Périgord Noir. Grâce à l’aménagement, la part de produits locaux dans la consommation villageoise a augmenté de 30 % en cinq ans (chiffres Chambre d’Agriculture Dordogne).
  3. Incubateur associatif : Le foyer communal entièrement rénové accueille désormais des réunions d’associations, stages et formations, favorisant la construction de nouveaux collectifs (Club de Canoë, Chant Vézère, AGORA Ruralités…).

Saint-Léon s’est aussi distingué lors du concours national « Villages d’Avenir » en 2022, récompensant ses efforts en termes de revitalisation rurale et d’innovation sociale (3 sur plus de 70 candidatures en Nouvelle-Aquitaine).

L’environnement, de la rivière à la gestion des risques

L’intégration soignée de la nature dans l’aménagement n’est pas qu’une coquetterie ici : la vallée est régulière proie aux crues de la Vézère. Réagissant à la crue notable de janvier 2021 (1,84 m relevés au pont, source Vigicrues), la commune a mis à jour son Plan Communal de Sauvegarde en 2022 :

  • Couloirs d’évacuation préservés : Aucun bâti nouveau autorisé dans la bande des 50 mètres riverains.
  • Zonage inondable strict : Respect du PPRI (Plan de Prévention du Risque Inondation), avec simulation de montée des eaux intégrée à toute autorisation d’urbanisme (source : Préfecture de Dordogne).
  • Réhabilitation des berges : Opération « Ripisylve Vivante » en 2023, qui a permis de replanter 800 mètres linéaires avec des essences autochtones (saules, aulnes, frênes).

Avec la sécheresse récurrente de ces dernières années, les zones humides communales sont recensées et protégées, apportant fraîcheur et biodiversité en cœur de village – un atout précieux lors des vagues de chaleur sans cesse plus fréquentes.

À la croisée des héritages et de demain

À Saint-Léon-sur-Vézère, chaque banc neuf, chaque sentier redessiné ou façade rénovée témoigne du même pari : rester fidèles à l’esprit du lieu tout en adaptant la vie quotidienne aux réalités du présent. Ici, l’aménagement urbain ne se limite pas à la préservation, il aspire à générer une qualité de vie partagée entre générations, entre habitants de toujours et nouveaux venus, entre nature et culture. Le village, parfois, tâtonne. Les compromis ne cessent d’alimenter les conseils municipaux et les terrasses de café, preuve d’une démocratie locale bien vivante.

Demain, le principal défi sera sans doute de continuer d’attirer des actifs et des familles, sans céder à la gentrification ni sacrifier la douceur de vivre chère au Périgord Noir. Les schémas d’aménagement successifs ont prouvé leur efficacité lorsqu’ils embrassent la lenteur, l’écoute et la concertation. Observer Saint-Léon, à cet égard, c’est voir comment, dans un coin reculé du grand Sud-Ouest, l’urbanisme façonne, plus qu’ailleurs encore, un véritable art de vivre.

Liste des articles