Qu’est-ce qu’une monnaie locale ou un système d’échange solidaire ?

Avant de comprendre leur création, il est bon de poser la définition de ces concepts. Une monnaie locale complémentaire est une devise utilisée dans une zone géographique restreinte, conçue pour être échangée contre des biens et des services au sein d’un réseau d’acteurs locaux (commerçants, associations, entreprises, citoyens). Elle ne remplace pas l’euro ni une autre monnaie nationale, mais vient le compléter. La finalité : encourager les circuits courts, soutenir les commerçants et artisans locaux, et renforcer la résilience économique. On recense aujourd’hui plus de 80 monnaies locales en France, dont des exemples comme l’Eusko au Pays basque ou le Sol Violette à Toulouse.

Les systèmes d’échange solidaire (ou SEL) fonctionnent dans une logique similaire. Ici, ce ne sont pas des billets imprimés qui circulent, mais des unités de temps ou des services. Par exemple, une heure passée à garder des enfants peut être échangée contre une heure d’apprentissage de la guitare. À l’instar des monnaies locales, ces systèmes cultivent des valeurs essentielles : entraide et mutualisation.

Les origines d’un projet de monnaie locale : un ancrage territorial

Chaque projet de monnaie locale naît d’une réflexion ancrée dans la spécificité d’un territoire. Prenons le cas de l’Eusko, fondé en 2013. Au Pays basque, où la culture et l’identité territoriale sont fortes, ce projet est né du désir de promouvoir une économie circulaire locale. Pour le Sol Violette, lancé à Toulouse en 2011, l’inspiration venait de la volonté de renforcer l’économie sociale et solidaire dans une métropole urbaine. L’objectif : pérenniser des emplois de proximité tout en favorisant la transition écologique.

La première question posée par les initiateurs est donc souvent : quelles problématiques cherche-t-on à résoudre sur notre territoire ? Le déclin des petits commerces ? La dépendance vis-à-vis des grandes surfaces ? Le besoin de dynamiser la vie associative ? Chaque territoire pose les bases de son projet selon ses priorités et ses défis. Cela implique forcément une phase intense de diagnostic local.

Une mosaïque d’acteurs engagés

Un projet de monnaie locale ou d’échange solidaire ne reposerait sur rien sans la force d’un collectif. Les acteurs mobilisés sont nombreux :

  • Des citoyens : souvent à l’origine de l’idée, ce sont eux qui composent les futurs utilisateurs de la monnaie locale. Leur implication en amont garantit l’adhésion à long terme.
  • Des commerçants et artisans locaux : ce sont eux qui acceptent cette monnaie. Sans leur participation active, l’initiative ne pourrait vivre. Ils y voient souvent un avantage pour se démarquer, toucher une clientèle engagée.
  • Des associations et mouvements citoyens : grands vecteurs d’idées et de relais d’information, ils mettent leur énergie au service du projet.
  • Les collectivités locales : cruciales, elles garantissent le cadre légal et institutionnel. Certaines monnaies locales, comme le Stück à Strasbourg, ont ainsi intégré des partenariats avec leurs collectivités dès leur genèse.

Une anecdote intéressante : au Pays basque, l’Eusko a bénéficié dès ses débuts d’un soutien appuyé des collectivités et de certains syndicats intercommunaux. Ce partenariat public-privé a permis une extension rapide du réseau d’acceptation et une légitimité accrue auprès des habitants.

Le financement et la logistique du projet

Comme tout projet ambitieux, lancer une monnaie locale nécessite un financement solide. On estime que la phase de développement d’une monnaie locale peut se chiffrer entre 50 000 et 100 000 €, selon l’ampleur des ambitions et les outils choisis (impression des billets, développement d’une application numérique, etc.). Ces fonds proviennent souvent d’un mix :

  • Apports citoyens : par le biais de collectes, de dons ou d’adhésions à l’association pilote.
  • Soutien des collectivités locales : subventions, aide logistique.
  • Partenariats avec des acteurs privés : banques, entreprises locales.

Ensuite se pose la question de la logistique. Une monnaie locale suppose la création de supports physiques (billets sécurisés, cartes de paiement) ou numériques (applications mobiles, plateformes de gestion des échanges). Pour éviter les fraudes, un soin particulier est apporté à la conception des billets, avec des techniques similaires à celles utilisées pour les devises nationales.

Les avantages et les limites d’une monnaie locale

Lorsqu’elle fonctionne bien, une monnaie locale dynamise l’ensemble de son territoire. Elle permet de :

  • Encourager les circuits courts et réduire les impacts environnementaux. Par exemple, en utilisant l’Eusko dans une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), vous participez à une agriculture locale et biologique.
  • Renforcer les liens de proximité : commerçants et clients échangent à travers une même vision de consommation consciente et responsable.
  • Donner plus de résilience économique à un territoire : des études montrent que l’euro dépensé dans un circuit classique s’échappe plus vite qu’une monnaie locale, qui circule plusieurs fois entre réseaux locaux.

Mais tout n’est pas simple pour autant. Les monnaies locales se heurtent à plusieurs défis :

  • Des difficultés dans le changement des habitudes : certains commerçants ou citoyens restent réticents à adopter un nouveau système d’échange, souvent par manque d’information.
  • Un cadre légal parfois contraignant : chaque monnaie doit fonctionner dans le respect strict des règles monétaires imposées par l’État.
  • La nécessité d’une organisation solide : à défaut d’une gestion rigoureuse, certains projets s’effondrent dès leur démarrage.

Vers un futur plus participatif

Les monnaies locales et les échanges solidaires prospèrent dans un contexte où les citoyens aspirent à reprendre le contrôle sur leur cadre de vie et leurs échanges économiques. Si la voie est semée d’embûches, le succès d’initiatives comme l’Eusko, devenu en 2023 la plus grande monnaie locale de France avec plus de 1,5 million d’Eusko en circulation, inspire et donne envie de suivre cet exemple.

Et si, dans une petite ville de Dordogne, ces projets venaient à éclore ? Et si les habitants, ensemble, se réappropriaient leur économie, au-delà des banques et grandes chaînes ? Les graines sont là, ne reste qu’à les semer.

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